Rue Bédarrides : les charmes secrets de la dolce vita aixoise

Jean-Yves le Prof 

Saison 5, épisode 5 

Jean-Yves le prof 

Située dans le centre ancien, la rue Bédarride part de la rue Espariat, près de l’église du Saint-Esprit, pour rejoindre la rue Maréchal Foch, en direction de la place Richelme et de la mairie. Elle s’appelait avant rue Beauvezet, du nom d’une petite chapelle, Notre-Dame de Beauvezet, ou chapelle de la Pureté, désaffectée en 1905 et devenue propriété d’EDF jusqu’en 2009, abritant un transformateur électrique, et restaurée depuis !  La rue est devenue rue Bédarride sous la troisième République. 

Il sagit non d’un seul Bédarride, mais de deux, les deux frères Bédarride. Du coup, certains écrivent parfois rue Bédarides, y compris sur les plans d’Aix ou sur certaines plaques de rue, ce qui est un nonsens grammatical (même si cela se faisait parfois à l’époque), puisque les noms propres sont invariables. A la limite, si on veut souligner qu’ils sont deux, on pourrait écrire « rue des frères Bédarride ». 

La famille Bédarride est originaire du Comtat Venaissin. L’ainé des deux frères, Jassuda Bédarride, est né à Aix le 12 germinal An XII (2 avril 1804). Après des études de droit, i devint avocat et préta serment devant la Cour Royale d’Aix le 7 septembre 1825 pour accomplir son stage.  Comme le souligne Charles Cohen dans son ouvrage sur les grandes figures du barreau d’Aix, Jassuda Bédarride a été le premier avocat de confession israélite dans le barreau d’Aix, soit environ 35 ans après la Révolution et 15 ans après la renaissance des barreaux.  Par la suite, il a notamment été bâtonnier. 

Jassuda Bédarride a rédigé un commentaire du code de commerce, sous le titre « Droit commercial », en 17 volumes un-8 publiés entre 1854 et 1865 (à Paris, mais aussi chez Makaire, 2 rue Thiers à Aix), comportant une dizaine de traités spéciaux, et il a été membre correspondant de l’Académie de législation de Toulouse. 

Ce grand juriste a aussi été homme politique. Républicain, il sera maire d’Aix sous la seconde République, succédant à Antoine François Aude, dont nous avons parlé dans un précédent article, du 10 mars 1848 au 18 mai 1849. (Notons qu’il est l’oncle d’un autre futur maire d’Aix, également bâtonnier, Benjamin Abram). Pour marquer son attachement à la République, il planta en avril 1848 l’Arbre de la Liberté, place des Prêcheurs. Au mois d’août, il sera également élu conseiller général du canton d’Aix-Sud, là aussi en remplacement d’Aude (Emile Rigaud lui succédera en 1852 comme conseiller général et il sera lui aussi maire d’Aix)Il ne sera donc maire qu’un peu plus d’une année (Michel Toussaint lui succédera comme maire). C’est sous son mandat que sera mise en application une décision de la municipalité Aude, celle de démolir les premières portes du rempart d’Aix. Il a aussi, avec son conseil, pris plusieurs décisions, pour créer des ateliers pour les ouvriers, la remise en état du lycée et du musée et la construction d’un nouvel abattoir. Il sera fait en 1880 chevalier, puis officierde la Légion d’honneur et il est mort le 4 février 1882. Il est considéré comme étant un de ceux qui a rapproché Aix des idées républicaines. Il habitait rue Bellegarde (actuelle rue Mignet). 

L’autre frère Bédarride, Salomon Bessalet, est né le 18 février 1809 à Aix. Lui aussi est juriste, avoué à la Cour et auteur de deux ouvrages juridiques. Républicain, comme son frère, il prit part à la vie politique et au développement du radicalisme sous la troisième République. Il est élu en 1870 au conseil municipal d’Aix, sur une liste Républicaine, et fut maire de la ville de 1876 à 1884. Il méritait bien lui aussi un nom de rue, car c’est sans doute lui qui a, en lien avec les idées qui ont suivi la chute du second empire, changé le plus de noms de rue à Aix. Il a en particulier fait voter par le conseil municipal en 1876 la décision de donner au Grand Cours son nom actuel de Cours Mirabeau. Le décret sera signé par le maréchal Mac-Mahon. Mais, au-delà de cet exemple, il s’agissait surtout d’incarner la République nouvelle par des symboles. La rue Charretterie devient rue Félicien-David, la rue du Pont-Moreau (comme nous l’avons vu dans un article précédent) devient la rue Thiers, et ainsi de suite, en tout au moins une douzaine d’autres rues rebaptisées, avec donc de nouveaux noms comme Campra, Espariat, Goyrand, Jacques de la Roque, etc.  Le conseil municipal suivra son exemple, puisque, dès le 29 octobre 1886, soit presque immédiatement après sa mort, le 29 septembre 1886, la rue où il habitait, rue Beauvezet (au N°9), sera renommée rue Bédarride à sa mémoire et à celle de son frère. 

Pendant son mandat de maire fut notamment décidée la construction du lycée Mignet et l’agrandissement de la bibliothèque Méjanes. Il s’est intéressé à la fois aux questions sociales et économiques, et aux questions d’équipement, en particulier pour le canal du Verdon. Mais il n’a pas seulement été maire ; il fut aussi élu conseiller général en 1871, y jouant un rôle de plus en plus important, au point de le présider en 1880-1881, considérant que beaucoup de questions ne pouvaient se résoudre qu’au niveau départemental. La légion d’honneur lui sera remise par son propre frère, Jassuda, en 1880, marquant la proximité entre les deux frères. Il était donc logique que la ville les honore en même temps, en nommant l’ancienne rue Beauvezet, la rue (sous-entendu, des frères) Bédarride. L’arrêté du conseil municipal donne d’ailleurs à la rue le nom précis de « rue des Bédarride », même si les plaques élimineront ensuite le « des ». Mais la volonté était claire : honorer en même temps les eux frères. 

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