Roux Alpheran : les mystères d’une incroyable rue d’aix en provence

ROUX-ALPHERAN : 

UNE RUE POUR L’AUTEUR DES « RUES D’AIX » 

Jean-Yves le Prof 

Saison 5, épisode 4 

 

La rue Roux-Alphéran se trouve à Aix dans le quartier Mazarin. Longue de 336 mètres, elle débouche d’un côté sur la place d’Arménie et la rue d’Italie, et de l’autre sur une impasse près de la rue du 4 septembre.  Comme toutes les rues du quartier Mazarin, créé de toutes pièces au 17éme siècle, elle s’insère dans un plan parfaitement dessiné, parallèle d’un côté à la rue Cardinale, de l’autre à le rue Sallier, et perpendiculaire à la rue du 4 septembre, à la rue Frédéric Mistral ou à la rue Peyssonnel, important contraste avec les rues sinueuses de la vieille ville que l’on trouve au nord du Cours Mirabeau. Parmi les personnalités aixoises, le « philosophe d’Aix », Maurice Blondel, habitait rue Roux-Alphéran. A l’extrémité de cette rue, place d’Arménie, se trouvait un bureau où, sous l’Ancien régime, on payait les droits sur les blés et farines introduites en ville. 

 

Cette rue s’appelait avant rue-Longue-Saint-Jean et même encore avant rue du Lèvrier, du nom d’une auberge qui s’y trouvait. La ville d’Aix donna à cette rue le nom de Roux-Alphéran, car il y avait sa maison, au numéro 9.  François Ambroise-Thomas Roux-Alphéran est né à Aix le 29 décembre 1776. Son père, Jean-Baptiste Roux, était avocat au Parlement et appartenait à une vieille famille aixoise, et sa mère, Gabrielle Alphéran, était aussi issue d’une vieille famille, comportant des gardes du corps du roi et des notaires et greffiers, famille installée à Aix depuis 1524 et anoblie en 1724. C’est par ordonnance royale du 20 septembre 1814 qu’Ambroise Roux fut autorisé à joindre à son nom celui ide sa mère, devenant ainsi Roux-Alphéran. 

Le jeune François-Ambroise, en bon Aixois, issu d’une famille de juristes, fit tout naturellement ses études au collège Bourbon (Mignet aujourd’hui), puis à la Faculté de droit d’Aix, alors située en face de la cathédrale (dans le bâtiment historique de l’Université, occupé aujourd’hui par l’Institut d’études politiques). Il devint alors avocat, mais on dit que sa forte timidité le freinait dans cette profession, d’où son choix d’entrer ensuite dans l’administration : de 1807 à 1815, il a été secrétaire en chef de la mairie d’Aix, la ville n’ayant alors plus de secrets pour lui : il la connaissait parfaitement ! Avec le retour des Bourbons, il devint ensuite greffier en chef de la Cour d’appel jusqu’en 1830, tout en ayant été conseiller municipal d’Aix de 1821 à 1830. Entre temps, en 1801, il avait épousé Marie Anne Antoinette Renoux, à Aix bien entendu, et ils auront une fille, Françoise-Gabrielle, mariée en 1830 Adolphe-Marie Gautier de la Lauziére. 

 

Passionné par la ville d’Aix et par son histoire, il a démissionné de tous ses mandats en 1830, année du départ des Bourbons au profit de Louis-Philippe et de la monarchie de juillet, pour se consacrer enfin totalement à sa passion. Ce juriste et historien sera tout naturellement élu à l’Académie des sciences, agriculture, arts et belles-lettres d’Aix. Il fera aussi partie de la commission d’archéologie, s’intéressant donc à toutes les époques de l’histoire d’Aix. Pourtant, ses travaux ne seront vraiment reconnus et honorés qu’après sa mort, à Aix, le8 février 1858, et c’est alors que la ville transformera le nom de la rue où u il habitait, la rue Longue-Saint-Jean, en rue Roux-Alphéran. Celui-ci est enterré au cimetière Saint-pierre (allée 11). 

En ce qui concerne ses publications, on lui attribue un ouvrage anonyme, rédigé pendant la terreur, « Journal historique de tout ce qui s’est passé de remarquable dans Aix depuis le dimanche 26 avril 1795 jusqu’au dimanche 31 décembre 1797, pour servir à rédiger des mémoires », apportant un point de vue royaliste sur cette période. (Cet ouvrage sera édité, d’après les archives de la bibliothèque Méjanes, en 2013. 

 

Mais l’œuvre de sa vie, encore très connue aujourd’hui, sera « Les rues d’Aix », publiée en 1848 à Aix chez Aubin, « éditeur sur le Cours ». Le titre complet est le suivant : « Les rues d’Aix ou recherches historiques sur l’ancienne capitale de la Provence ». Evidemment, le titre indique Aix, tout simplement, puisque le nom d’Aix-en-Provence ne sera donné à la vile qu’en 1932, mais le sous-titre d’ancienne capitale de la Provence lève toute ambigüité ! Deux forts volumes, dans lesquels la description des bâtiments principaux de chaque rue s’accompagne d’une dimension historique importante, et aussi d’anecdotes, comme sa rencontre avec Bonaparte et ses généraux, de passage à Aix après la campagne d’Egypte, à l’hôtel des princes en bas du Cours. Ou encore le passage à Aix, dans le même hôtel, du pape Pie VII, prisonnier en 1809 de Napoléon ! (J’ai raconté ces épisodes dans des séries précédentes de mes articles pour « Il court Mirabeau »). Il y a donc à la fois chez Roux-Alphéran des recherches historiques pour les siècles précédents, et des témoignages directs de sa part pour les épisodes qu’il a connus tout au long de sa vie. Cela donne à l’ouvrage un côté vivant et agréable à lire, d’autant plus qu’y figurent une bonne douzaine de gravures forts intéressantes : on appréciera par exemple celle de l’école de droit, du nouveau palais de justice, de l’entrée du Cours (l’actuelle place de la Rotonde n’existait pas encore bien entendu) ou de la rue cardinale avec l’église Saint-Jean-de-Malte : cela permet d’apprécier, au-delà des évolutions, la permanence des principaux bâtiments d’Aix. 

 

Il est possible qu’aujourd’hui les historiens, disposant de nouvelles sources et de méthodes rigoureuses, contestent telle ou telle affirmation de Roux-Alphéran ; mais son ouvrage sur les rues d’Aix reste irremplaçable, car sa démarche montre, dans des chapitres successifs et chronologiques, les dix agrandissements successifs d’Aix. Après avoir présenté la ville romaine, puis la ville comtale, les dix agrandissements ultérieurs vont de 1250 à 1788, l’un des plus importants, qui a marqué la ville jusqu’à aujourd’hui, étant, en 1646, le neuvième agrandissement, qui représente une incroyable opération d’urbanisme, avec la création du Cours et du quartier Mazarin.  On trouve encore, y compris au marché à la brocante d’Aix, ou au marché aux livres mensuel place de la mairie, cet ouvrage sen édition originale et aussi en « reprint ». 

 

Pour son amour et son attachement à Aix, pour son livre magistral sur les rues d’Aix, mais aussi pour avoir légué à la bibliothèque Méjanes de nombreux documents sur l’histoire d’Aix, Roux-Alphéran méritait bien que la ville lui attribue une rue à son nom ! 

Comments

  • 24 février 2021

    Puis-je enrichir ce passionnant récit d’une anecdote ?

    Etudiant à Sciences-po en 1980, je suis aussi lecteur de Romain Gary, que je souhaite rencontrer. J’habite alors rue Roux-Alphérand. Au détours de « La nuit sera calme », un livre témoignage de Romain Gary en forme d’interview, je découvre que Romain Gary, étudiant en Droit à Aix dans les années 30 là où se trouve l’IEP lorsque j’y suis, habitait sous les combles rue Roux-Alphérand.

    J’écris donc à Romain Gary chez Gallimard ; « étudiant sur vos traces et habitant rue Roux-Alphérand sous les combles etc… »
    Je reçois en retour une invitation à le rencontrer.
    J’ignorais seulement à quel n° de la rue Roux-Alphérand il habitait. Et je ne l’ai jamais su jusqu’à l’année dernière.
    En passant à Aix, je remonte la rue Roux-Alphérand jusqu’à la rue d’Italie. En haut de la rue je vois une plaque qui signale « Ici a vécu Romain Gary ». C’est mon immeuble…

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